« Dans
la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur
la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée
que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à
tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on
sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom
le dur labeur du matin au soir -, qu'un tel travail constitue la
meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à
entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du
goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité
de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation,
à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente
constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions
faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur
en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore
aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême. - Et puis!
épouvante! Le « travailleur », justement, est devenu dangereux!
Le monde fourmille d'« individus dangereux » ! Et derrière eux, le
danger des dangers – l'individuum».
Nietzsche,
Aurore (1881)