« Les
choses de la nature n'existent qu'immédiatement et d'une seule
façon, tandis que l'homme, parce qu'il est esprit, a une double
existence ; il existe d'une part au même titre que les choses de la
nature, mais d'autre part il existe aussi pour soi, il se contemple,
se représente à lui-même, se pense et n'est esprit que par cette
activité qui constitue un être pour soi. Cette conscience de soi,
l'homme l'acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce
qu'il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous
les mouvements, replis et penchants du cœur humain et d'une façon
générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui
assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi
bien dans ce qu'il tire de son propre fond que dans les données
qu'il reçoit de l'extérieur. Deuxièmement, l'homme se constitue
pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se
trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est
donné immédiatement, dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il
y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du
sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses
propres déterminations. L'homme agit ainsi, de par sa liberté de
sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement
étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une
forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les
choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de
l'enfant: le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et
admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une œuvre
où il bénéficie du spectacle de sa propre activité ».
Hegel,
Esthétique (éd.
posthume de ses cours en 1835)