C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Arendt / "Condition humaine" n'est pas "nature humaine"

    « Dans sa compréhension, la condition humaine dépasse les conditions dans lesquelles la vie est donnée à l’homme. Les hommes sont des êtres conditionnés parce que tout ce qu’ils rencontrent se change immédiatement en condition de leur existence. Le monde dans lequel s’écoule la vita activa consiste en objets produits par des activités humaines ; mais les objets, qui doivent leur existence aux hommes exclusivement, conditionnent néanmoins de façon constante leurs créateurs. Outre les conditions dans lesquelles la vie est donnée à l’homme sur terre, et en partie sur leur base, les hommes créent constamment des conditions fabriquées qui leur sont propres et qui, malgré leur origine humaine et leur variabilité, ont la même force de conditionnement que les objets naturels. Tout ce qui touche la vie humaine, tout ce qui se maintient en relation avec elle, assume immédiatement le caractère de condition de l’existence humaine. C’est pourquoi les hommes, quoi qu’ils fassent, sont toujours des êtres conditionnés. Tout ce qui pénètre dans le monde humain, ou tout ce que l’effort de l’homme y fait entrer, fait aussitôt partie de la condition humaine. L’influence de la réalité du monde sur l’existence humaine est ressentie, reçue comme force de conditionnement. L’objectivité du monde – son caractère d’objet ou de chose – et la condition humaine sont complémentaires; parce que l’existence humaine est une existence conditionnée, elle serait impossible sans les choses, et les choses seraient une masse d’éléments disparates, un non-monde, si elles ne servaient à conditionner l’existence humaine.
Evitons tout malentendu : la condition humaine ne s’identifie pas à la nature humaine (…) Il est fort peu probable que, pouvant connaître, déterminer, définir la nature de tous les objets qui nous entourent et qui ne sont pas nous, nous soyons jamais capables d’en faire autant pour nous même : ce serait sauter par dessus notre ombre. De plus, rien ne nous autorise à supposer que l’homme ait une nature ou une essence comme en ont les autres objets »

Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne  (pp 43-44)

> lire les autres textes composant la (très) brève anthologie :
[13] Martin Buber [14] Hannah Arendt [15] Jean-Paul Sartre