C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Virilio / Esthétiques de l'apparition et de la disparition

   "L'esthétique de l'apparition est le propre de la sculpture et de la peinture. Les formes émergent de leurs substrats - le marbre pour une statue de Michel-Ange, la toile pour une peinture de Léonard de Vinci - et la persistance du support est l'essence de la venue de l'image. Celle-là même qui émerge à travers l'esquisse et se fixe avec un vernis - de la même façon qu'on polit le marbre.
   Avec Niepce et Daguerre va naître une esthétique de la disparition. En passant par l'invention de la photo instantanée qui permettra le photogramme cinématographique, l'esthétique sera mise en mouvement. Les choses existeront d'autant plus qu'elles disparaîtront. Le film est une esthétique de la disparition mise en scène par les séquences. Ce n'est pas simplement un problème de transport, c'est déjà la vitesse de prise de vue de l'instantané photographique, puis la vitesse de vingt-quatre images par seconde du film qui révolutionneront la perception et changeront totalement l'esthétique. Face à l'esthétique de la disparition, il n'y a plus qu'une persistance rétinienne. Pour voir s'animer les images de la séquence, du photogramme, il faut qu'il y ait persistance rétinienne. Donc, on passe de la persistance d'un substrat matériel - le marbre ou la toile du peintre - à la persistance cognitive de la vision. C'est la possibilité de faire des photos instantanées, autrement dit d'accélérer la prise de vue, qui va favoriser l'apparition d'une esthétique de la disparition que la télévision et la vidéo prolongent aujourd'hui."
Paul Virilio, Cybermonde, la politique du pire (1977)