C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

TL1 / Notes en cours / La politique / lundi 16 décembre

La politique

remarque préalable : hors-contexte le mot est souvent pris dans une acception dérivée de l'acception fondamentale de « politique », dérivée et même péjorative.
Employé certes au singulier, mais un singulier qui sous-entend la pluralité des idées, des idéologies, des « partis »
politiques. Des « partis » > prendre parti > être partisan > débat, combat des idées, des conflits

OR le mot « politique » désigne le fait que des hommes s'assemblent, se rassemblent, forment une assemblée, un ensemble.

Donc autant l'acception courante, dérivée et déviante, de ce mot insiste sur l'idée d'une pluralité conflictuelle. Autant l'acception première ( puisque « politique » est formée sur le mot grec « polis » = une cité, la cité) insiste sur le singulier, sur l'unité.

La politique, le « fait politique » désigne le fait que une pluralité d'hommes se donnent (= instituent) une unité permettant leur co-existence, leur existence collective.

Emile Benvéniste fait remarquer dans ses Problèmes de linguistique générale que les mots « civitas » (cité) et « polis » relèvent non seulement de 2 langues différentes (civitas en latin, polis en grec) mais et surtout de 2 modèles différents, 2 façons distinctes de se représenter, la communauté (politique) et les liens qui unissent chaque citoyen à cette communauté.
ch. PLG «Deux modèles linguistiques de la cité »
en grec / polis = l'unité polites = partie 
en latin / cives = partie civitas = le tout

le français est une langue gréco-latine mais ici, s'agissant de politique, notre langue semble « parler » d'abord « latin » : « cité », « citoyen » sont deux mots formés à partir de la langue latine (cives, civitas) et pourtant le passage du latin vers le français emprunte à la culture grecque son modèle. Car en français c'est le mot qui désigne le tout, la totalité, qui est premier, fondamental, et c'est le mot qui désigne la partie, l'individu, qui en est dérivé.

Ces remarques concernant la langue mettent en évidence le problème central de toute réflexion politique :
  • si les individus existent « avant »  le tout qu'ils doivent composer, comment arriveront-ils à s'entendre, à s'accorder, à s'assembler (cas où « cives » précède « civitas ») ?
  • si, au contraire, c'est l'unité, l'ensemble qui précède ses propres parties, qui les produit (par différenciation), dès lors c'est la partie, l'individu qui est menacé, dont les droits risquent de ne pas être entendus, respectés (ca où « polis » précède « polites »).

1 La partie, le tout : l'organisme et ses membres

On prétend le plus souvent déduire la façon dont les hommes doivent se rassembler, s'organiser, de la fonction (l'utilité) que devra avoir cette organisation.
Si c'est pour vivre (que les hommes doivent vivre ensemble), ne serait-il pas logique que leur « organisation » (comme le sous-entend le mot « organisation ») soit naturelle, prenne la nature comme modèle.

Nombreux sont les mots dans notre langue qui comparent la communauté politique à un corps :

organisme, organisation, corps social, membre
mais aussi tous ceux par lesquels nous évoquons l'état de ce « corps », sa santé, sa force, ses maladies, une « crise » (état « critique » > vocabulaire médical), « fléau », gangrène » : état infectieux par contamination...

> d'où la cure, la thérapie qui semblent s'imposer, conformément à l'avis des médecins du corps politique que sont les experts : la mise à l'écart (« en quarantaine »), l'exclusion, voire l'amputation

  • « bras-droit », « cerveau », « coeur »
  • intégration, assimilation,
    dissolution : métaphore organique ou chimique ?

cf. Hume, Traité de la nature humaine 18ème s. (p.20)

description, portrait de l'homme déjà brossé par les anciens, tout particulièrement par Platon dans P, Aristote dans PA et Pline dans HN : le dénuement essentiel à l'homme, propre à son essence.

« cruauté » l.2 > Pline, HN p.35: « cruelles compensations » l.6-7, « marâtre impitoyable » l.8

pour Hume, il ne s'agit pas (comme pour Aristote dans PA) de dériver l'invention humaine des techniques à partir de ce dénuement essentiel, mais plutôt de rendre raison de l'invention du politique, rendre raison de la nécessité d'établir (= d'instituer) une communauté, un grand corps qui englober, qui assimile tous les corps individuels.
Car à l'échelle individuelle un homme n'est pas, prétend Hume, une unité viable : sur le plan politique il doit entrer dans un corps plus vaste que le sien tout comme, sur le plan technologique, il doit prolonger son corps de différentes prothèses que sont les outils, ustensiles, instruments, voire appareils et machines.
Ce que chaque homme est appelé à s'ajouter à soi-même, ce n'est donc plus tel ou tel outil, accessoire (qui le rendra habile, pour lequel il aura dû contracter telle ou telle habitude de maniement), mais c'est un ensemble de droits, d'habilitations que lui reconnaît la communauté.

Différence entre habileté et habilitation : une habileté (un savoir-faire, une capacité technique, avoir l'art et la manière) chacun l'a, l'acquiert par l'exercice, par l'habitude).

Formule paradoxale de Hume pour dire à quel point l'homme est vide, combien le manque est grand chez l'homme : c'est chez l'homme qu'on trouve « achevé » = « porté à son plus haut point » … l'inachèvement.

Non pas parce qu'il a peu de moyens, mais parce que, quels que soient ses moyens, ils sont disproportionnés par rapport à ses besoins.
A l'échelle de l'individu, du corps individuel, il n'y a ni proportion, ni mesure, ni harmonie. C'est seulement en passant à l'échelle du collectif, à l'échelle du corps social qu'on pourra trouver une unité viable, proportionnée, harmonieuse.

Cette métaphore est un écho aux textes du 17ème s. et tout particulièrement au texte du philosophe Hobbes, Leviathan.