La
politique
remarque
préalable : hors-contexte le mot est souvent pris dans une
acception dérivée de l'acception fondamentale de « politique »,
dérivée et même péjorative.
Employé
certes au singulier, mais un singulier qui sous-entend la pluralité
des idées, des idéologies, des « partis »
politiques.
Des « partis » > prendre parti > être partisan >
débat, combat des idées, des conflits
OR
le mot « politique » désigne le fait que des
hommes s'assemblent, se rassemblent, forment une
assemblée, un
ensemble.
Donc
autant l'acception courante, dérivée et déviante, de ce mot
insiste sur l'idée d'une pluralité conflictuelle. Autant
l'acception première ( puisque « politique » est formée
sur le mot grec « polis » = une
cité, la cité)
insiste sur le singulier, sur l'unité.
La politique, le « fait
politique » désigne le fait que une pluralité d'hommes se
donnent (= instituent) une unité permettant leur co-existence, leur
existence collective.
Emile Benvéniste fait
remarquer dans ses Problèmes de linguistique générale que
les mots « civitas » (cité) et « polis »
relèvent non seulement de 2 langues différentes (civitas en
latin, polis en grec) mais et surtout de 2 modèles
différents, 2 façons distinctes de se représenter, la communauté
(politique) et les liens qui unissent chaque citoyen à cette
communauté.
ch. PLG «Deux
modèles linguistiques de la cité »
en grec / polis =
l'unité polites = partie
en latin / cives =
partie civitas = le tout
le français est une
langue gréco-latine mais ici, s'agissant de politique, notre langue
semble « parler » d'abord « latin » :
« cité », « citoyen » sont deux mots formés
à partir de la langue latine (cives, civitas) et pourtant le passage
du latin vers le français emprunte à la culture grecque son modèle.
Car en français c'est le mot qui désigne le tout, la totalité, qui
est premier, fondamental, et c'est le mot qui désigne la partie,
l'individu, qui en est dérivé.
Ces remarques concernant
la langue mettent en évidence le problème central de toute
réflexion politique :
- si les individus existent « avant » le tout qu'ils doivent composer, comment arriveront-ils à s'entendre, à s'accorder, à s'assembler (cas où « cives » précède « civitas ») ?
- si, au contraire, c'est l'unité, l'ensemble qui précède ses propres parties, qui les produit (par différenciation), dès lors c'est la partie, l'individu qui est menacé, dont les droits risquent de ne pas être entendus, respectés (ca où « polis » précède « polites »).
1
La partie, le tout : l'organisme et ses membres
On
prétend le plus souvent déduire
la façon dont les hommes doivent se rassembler, s'organiser, de la
fonction (l'utilité) que devra avoir cette organisation.
Si
c'est pour vivre (que les hommes doivent vivre ensemble), ne
serait-il pas logique que leur « organisation » (comme le
sous-entend le mot « organisation ») soit naturelle,
prenne la nature comme modèle.
Nombreux
sont les mots dans notre langue qui comparent la communauté
politique à un corps :
organisme,
organisation, corps social, membre
mais aussi tous ceux par
lesquels nous évoquons l'état de ce « corps », sa
santé, sa force, ses maladies, une « crise » (état
« critique » > vocabulaire médical), « fléau »,
gangrène » : état infectieux par contamination...
>
d'où la cure, la thérapie qui semblent s'imposer, conformément à
l'avis des médecins du corps politique que sont les experts :
la mise à l'écart (« en quarantaine »), l'exclusion,
voire l'amputation
- « bras-droit », « cerveau », « coeur »
- intégration, assimilation,dissolution : métaphore organique ou chimique ?
cf.
Hume, Traité de la nature humaine
18ème s. (p.20)
description,
portrait de l'homme déjà brossé par les anciens, tout
particulièrement par Platon dans P,
Aristote dans PA et
Pline dans HN :
le dénuement essentiel à l'homme, propre à son essence.
« cruauté »
l.2 > Pline, HN p.35:
« cruelles compensations » l.6-7, « marâtre
impitoyable » l.8
pour
Hume, il ne s'agit pas (comme pour Aristote dans PA)
de dériver l'invention humaine des techniques à partir de ce
dénuement essentiel, mais plutôt de rendre raison de l'invention du
politique, rendre raison de la nécessité d'établir (= d'instituer)
une communauté, un grand corps qui englober, qui assimile tous les
corps individuels.
Car
à l'échelle individuelle un homme n'est pas, prétend Hume, une
unité viable : sur le plan politique il doit entrer dans un
corps plus vaste que le sien tout comme, sur le plan technologique,
il doit prolonger son corps de différentes prothèses que sont les
outils, ustensiles, instruments, voire appareils et machines.
Ce
que chaque homme est appelé à s'ajouter à soi-même, ce n'est donc
plus tel ou tel outil, accessoire (qui le rendra habile, pour lequel
il aura dû contracter telle ou telle habitude de maniement), mais
c'est un ensemble de droits,
d'habilitations que
lui reconnaît la communauté.
Différence
entre habileté et habilitation : une habileté (un
savoir-faire, une capacité technique, avoir l'art et la manière)
chacun l'a, l'acquiert par l'exercice, par l'habitude).
Formule
paradoxale de Hume pour dire à quel point l'homme est vide, combien
le manque est grand chez l'homme : c'est chez l'homme qu'on
trouve « achevé » = « porté à son plus haut
point » … l'inachèvement.
Non
pas parce qu'il a peu de moyens, mais parce que, quels que soient ses
moyens, ils sont disproportionnés par rapport à ses besoins.
A
l'échelle de l'individu, du corps individuel, il n'y a ni
proportion, ni mesure, ni harmonie. C'est seulement en passant à
l'échelle du collectif, à l'échelle du corps social qu'on pourra
trouver une unité viable, proportionnée, harmonieuse.
Cette
métaphore est un écho aux textes du 17ème s. et tout
particulièrement au texte du philosophe Hobbes, Leviathan.