C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

TL1 / 18 nov / début du cours sur "la raison"

un mot > une faculté > 1 partie / 5 parties
Or ces 5 parties peuvent être ramenées à 3 ... "Comprendre c'est unifier" cf. Camus, MS
  1. "La condition humaine" * : ÊTRE > Le sujet + La culture
  2. "La connaissance et la raison" * : CONNAÎTRE > La raison et le réel
  3. "La pratique et les fins" * : AGIR ou ...COMMETTRE > La politique + La morale
* il s'agit des intitulés 
des trois parties du programme, 
tel que celui-ci se présentait il y a quelques années

A travers le mot "raison", ce serait donc toute une réflexion sur la connaissance (comment et pourquoi connaître > Canguilhem, CV), seulement sur la connaissance apparemment.

En réalité, le mot "raison", ses dérivés, ses nuances montrent déjà qu'avec "la raison" il est question non seulement de la connaissance mais aussi de l'action.

1. "Raison" : le mot, les mots
  • raison-ner / raison -nable / déraisonnable / raison-nement
  • ratio-nnel / ir-rationnel/ ratio-nalité / ratio-n / ratio-nner / ratio

Cette liste de mots montre qu'une réflexion sur la raison est au carrefour entre une réflexion sur la connaissance (être "rationnel") et l'action (être "raisonnable"), deux domaines différents puisque ce ne sont pas les mêmes valeurs qu'on s'y efforce de respecter : vrai / faux n'est pas bien / mal.
Cette simple remarque concernant la bifurcation entre les deux domaines (connaître / agir) introduit à la question de la priorité, de la hiérarchie entre les valeurs : qu'est-ce qui compte le plus, qu'est-ce qui vaut le plus, le vrai ou le bien? Si nous voulons "raisonner", est-ce seulement pour atteindre le vrai ou n'y a-t-il pas, déjà, une portée morale à la connaissance, comme si le vrai devait être mis au service du bien, comme si le vrai ne devait être qu'un moyen pour atteindre une fin, qui serait donc le bien (moral).

Sur cette priorité, chaque culture, chaque civilisation porte un regard, prend position, selon ses valeurs propres, selon sa langue d'abord. Par exemple notre 20ème s. "scientiste" n'a-t-il pas voulu honorer davantage l'exigence de vérité, de rationalité, que de bonté, d'humanité, etc., puisque toute notre culture européenne, prétendument avant-gardiste, n'a pas su, n'a pas pu nous mettre à l'abri de notre propre inhumanité (cf. "crimes contre l'humanité").
Les grecs proposaient un autre mot, logos, qui ne divisait pas la "raison" avec elle-même, qui voulaient rendre inséparable l'exigence du vrai et l'exigence du bien. 
pb  : quand nous reprenons le mot grec, notamment à travers le radical "logie" c'est pour l'enfermer dans un seul, un seul aspect (une seule valeur) de la rationalité : l'exigence du vrai au sens où les sciences ou "logies" l'entendent.
Exemples d'intitulés de dissertations :
Qu'est-ce que "perdre la raison"? Qu'appelle-t-on "avoir raison"? > en quel sens du mot "raison", par rapport à quelle hiérarchie entre les valeurs qui structurent le champ de la raison, sommes-nous ou quittons-nous le domaine de la raison?
Quel est le sens profond des mouvements artistiques comme le surréalisme ou comme le dadaïsme (qui en est le précurseur)?

2. La raison, une faculté parmi d'autres?
la "raison" : le mot apparaît dans une liste (énumération) de tout ce qui fait que l'homme est homme, de toutes les facultés qui font l'essence de l'homme 
La raison est pourtant une faculté d'un autre rang que les autres (liberté, etc.) puisque c'est elle qui permet de définir toutes les autres, de connaître leurs fonctions, de les hiérarchiser, éventuellement de mettre une faculté plus haut qu'elle-même.

cf. Erasme, Eloge de la folie, (début 16ème) : discours raisonné, rationnel prononcé par la folie elle-même, décrivant les pratiques et les moeurs de l'époque présentées comme raisonnables, que la satire sous-jacente dénonce comme déraisonnable. Dispositif rhétorique complexe qui fait appel à la raison pour mettre en cause un mauvais usage de la raison.

cf. La mirandole, De la dignité de l'homme (fin 15ème) : homme = Raison + Liberté 
rq : nous comprenons ce texte, mais les valeurs (religieuses) qui permettent à l'auteur de décrire le réel (hiérarchie entre des "régions" du monde, des  domaines de la réalité) nous sont opaques, obscures, obscurantistes dirions-nous aujourd'hui. Et pourtant c'est un texte qui célèbre, comme tant d'autres, la raison comme faculté, inséparable de la liberté, propre à l'homme
cf. Kant, Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitiquehomme = "la raison" + la "liberté du vouloir"

cf. Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Ce texte constitue-t-il un désaveu de la prééminence de la raison? 
La raison ne semble pas en effet considérée par Rousseau comme une faculté spécifique à l'humain. Cf. "ce n'est donc pas tant l'entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent libre" (p.37 - l.18)