On croit pouvoir suffisamment définir
l'instinct en définissant celui-ci comme un comportement non-volontaire, à peine
conscient, non réfléchi, comme s'il n'était qu'une sorte de réflexe.
Si on en restait à une telle définition, toutes les
confusions seraient possibles entre de simples instincts et de véritables habitudes.
Or, dans la notion d'instinct à strictement parler, il entre plusieurs aspects essentiels :
- c'est un dispositif déclenché dans certaines circonstances (défense, alimentation, reproduction) : un instinct a une fonction vitale dans la mesure où il propose un moyen adapté à une fin qu'il permet d'atteindre avec une certaine efficacité. Dans l'extrait du livre de Jacob von Uexküll, lire la succession de stimuli perçus par la tique qui, après la fécondation, la poussent à parcourir toutes les étapes du processus de reproduction.
- C'est un dispositif dont la mise en oeuvre est déclenchée par les circonstances elles-mêmes (à travers des stimuli que perçoit l'organisme rendu sensible à ceux-ci par les circonstances) : sans volonté, sans décision. La tique n'a pas « attendre » le passage d'un mammifère, elle peut au contraire entrer dans une sorte d'hibernation (pendant plus de 15 ans!). C'est l'odeur de l'acide butirique qui déclenchera en elle, qu'elle le veuille ou non, le mouvement de sa chute du haut de l'arbuste.
- C'est un dispositif transmis par hérédité génétique : il n'y a à apprendre ni comment faire ni quand le faire, pas plus qu'il n'y a à comprendre pour quoi le faire. Il est remarquable que le processus se met en place dès que la tique a été fécondée. De même, il est remarquable de voir que l'animal parcourt toute la séquence des étapes, dont la dernière coïncide avec sa propre mort! On ne peut donc pas présupposer chez l'animal la capacité de se représenter le processus, encore moins d'en comprendre le sens global, sauf à lui attribuer un sens très poussé du sacrifice et de l'héroïsme, inconnu sous cette forme chez les humains.
- C'est un dispositif propre à tous les spécimens d'une même espèce. Un comportement instinctif n'est donc pas un « acte » : aucun individu n'est à proprement parler l'«auteur» de cet acte. Le spécimen (cette tique-ci ou cette autre-là) est un agent à travers lequel s'effectue un processus dont la finalité dépasse sa propre individualité et dont il ne peut être qu'un moyen.
D'où la définition proposée par le philosophe Merleau-Ponty dans Signes au moment où il veut montrer qu'il n'y a pas chez les êtres humains un "instinct sexuel". D'ailleurs, Freud qui emploie le mot "instinct" à propos de la sexualité humaine en détourne profondément le sens. En effet l'instinct est, rappelle Merleau-Ponty, «un dispositif intérieur à l’organisme, qui assure, avec un
minimum d’exercice, certaines réponses adaptées à certaines
situations caractéristiques de l’espèce».
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