L'habitat
correspond à une façon d'être qui montre à quel point l'homme
doit avoir (habere en latin), avoir de quoi être, avoir pour
être.
A
la différence du gîte de l'animal (un terrier, une tanière, une
ruche, un nid, une grotte, un antre, une hutte, etc.), un véritable
habitat est un lieu où des personnes mettent en commun des objets et
des usages, qui reposent sur des habitudes et des habiletés
spécifiques. Par
ailleurs, l'habitat repose
sur un titre de propriété ou un contrat de location qui habilite
la personne à faire usage du lieu comme un lieu d'habitation.
1-
L'habitat : un sujet, des objets
- Stabilité des objets, identité du sujet
Un
habitat est un lieu où chacun est entouré de ses objets, des objets qu'il a. Au sein de son habitat chacun
peut donc se retrouver soi-même face à des objets qui restent les mêmes.
Par leur stabilité, les choses (cette table, ces chaises, ce lit et
tous les objets qui gravitent autour) soutiennent la conscience
d'être soi, d'être soi-même, d'être jour après jour la
« même » personne. D'ailleurs «même»
se dit en latin «idem»
et
c'est sur ce mot
qu'est formé le mot « id-entité »,
c'est-à-dire « une seule et même entité ».
Cf.
Proust, RTP :
« ...quand
je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où
je me trouvais je ne savais même pas au premier instant qui
j’étais
(…) mais
alors le souvenir – non encore du lieu où j’étais, mais de
quelques uns de ceux que j’avais habités et où j’aurais pu être
– venait à moi comme un secours d’en haut pour me tirer du néant
d’où je n’aurais pu sortir tout seul ».
- Un objet, un geste, un emplacement à soi
A
chaque chose correspondent des gestes familiers, habituels, dans
lesquels on se reconnaît : cette même façon de tirer cette
chaise à soi pour s’y asseoir, les postures, les positions du
corps pour s’attabler, pour s’allonger. La même place à table,
dans la pièce : avoir, comme on dit, son « coin à soi ».
- Des espaces différenciés
D'ailleurs,
les objets et les activités auxquelles ceux-ci correspondent ont des
places différenciées au sein de l'habitat. D'où la répartition
des emplacements ou, pour les modes de vie les plus confortables, la
distribution des différentes pièces en « salles » et
« salon » : salles « de séjour », « à
manger », «de bain » «de lecture » (le « bureau »
… du même nom que le meuble), la « cuisine », la
« chambre ».
- L'espace, le temps
L’habitat
ne correspond pas seulement à la configuration d'un espace,
que chacun aménage en fonction d'activités différenciées, mais
aussi à une organisation du temps qui s'affranchit des contraintes
naturelles, notamment l'alternance du jour et de la nuit puisqu'on
peut avoir artificiellement au-dedans la lumière qu'on n'a pas
naturellement au-dehors.
2-
L'habitat : un sujet, des sujets
- Un espace commun
La
répartition des emplacements ou des pièces d'un habitat se fait en
fonction des activités qu'on souhaite ou non mettre en commun, selon
tous les degrés de proximité, voire d'intimité, qu'on souhaite ou
non avoir avec ses « proches ». La différence entre « un
salon » et « une salle de bain ».
- Les autres chez soi
C'est
en effet le propre d'un véritable habitat que de pouvoir non
seulement mettre à l'abri une communauté de proches (vie conjugale,
cellule familiale, etc.), mais aussi accueillir des hôtes, amis ou
inconnus. Les animaux ne « reçoivent » pas, comme disent
les humains. Ils n' « invitent » pas. « Chez lui »
l'animal ne rencontre jamais personne d'autre que lui : ni amis,
ni proches (en dehors d'un partenaire auquel il est lié par la
reproduction), encore moins des inconnus.
- Espace public, l'espace domestique
Un
véritable habitat est révélateur de la variété des rapports
entre soi et autrui, entre ego et alter ego : le parent,
l'enfant, le frère, l'ami, l'aimé, l'invité, l'inconnu, etc.
autant de degrés de proximité que rappelle la limite entre le
dehors et le dedans, entre l'espace social et le chez soi, entre
l'espace public et l'espace « domestique ». En latin, le
mot « domus »
désigne en effet «la maison, le domaine privé, où le maître
établit ses propres règles ».
3-
L'habitat : des façons d'être et un mode de vie
- « Résidence » saisonnière
Le
plus souvent, le gîte de l'animal n'a qu'une fonction liée aux
impératifs biologiques de la reproduction (nidification par
exemple). Non pas au sens où les partenaires s'y accouplent, mais
au sens où s'y effectuent la couvaison et l'alimentation
provisoirement assistée de leurs progénitures. En ce sens, la
« résidence » est seulement saisonnière. L'homme peut
certes changer d'habitation, selon les saisons s'il le souhaite
(« partir en vacances », « voyager »), mais
il ne peut se passer de toute habitation.
- Chez soi pour se sentir soi-même
Lorsque
le gîte de l'animal lui sert durablement de lieu d'hibernation, le
différence apparaît encore plus clairement avec un véritable
habitat. Car si, en entrant chez lui, un homme se retire de l'espace
public, il ne s'absente pas pour autant à soi-même (en tombant en
hibernation!). Au contraire, être chez soi peut correspondre à la
possibilité de se sentir pleinement soi-même.
- Chez soi, chez autrui ou chez ...personne en particulier
L'habitat
ne désigne pas pour l'homme son seul domicile. Il peut sortir de
chez soi pour rejoindre d'autres habitations correspondant à
d'autres façons d'habiter, de co-habiter, de co-exister - souvent
dans des habitats qui ne sont plus le chez soi d'aucun soi, d'aucune
personne privée, mais des lieux d'accueil publics où chacun est
habilité à se tenir, lieux de culture (théâtre, etc.) ou lieux de
culte (lieux de prière) par exemple. L'homme peut habiter d'autres
lieux que son propre domicile tout en se sentant à son aise, comme
chez soi, peut-être même plus soi-même qu'à l'intérieur de son
propre domicile.
- Habitat et architecture
De
même, quand le gîte de l'animal est principalement un lieu de
refuge, il apparaît d'autant plus clairement que ce ne pourra être
un lieu de communauté comme l'est un habitat, qui est
à soi,
qui n'est
pas soi,
qui peut donc être mis en commun. C'est pourquoi l'histoire de
l'habitat correspond à l'histoire de l'architecture qui prend en
compte toutes les possibilités de mise en commun – alors que
chaque
animal donne à son gîte la forme de sa propre anatomie.
Pour
se poser la question de savoir quelles dimensions l'homme devrait
donner à son habitat, lire le poème de Francis Ponge, Notes pour un coquillage.