C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

"Identité" > "idem" + "entité"

L'étymologie de ce mot réserve une surprise car, contrairement à nos attentes, il n'évoque pas la singularité, l'unicité, le fait que chacun a une identité différente de celle d'un autre.

Le mot ne dit pas d'abord "différent" ou "dissemblable" ou "dispersé". Le mot dit tout au contraire le "même", le "pareil", l' "identique" : idem en latin.

L'autre radical (tité) est un dérivé du verbe "être" en latin, au participe présent, qu'on pourrait traduire par "étant" (comme "courant" est le participe présent du verbe "courir" ou "mangeant" du verbe "manger") ou encore par "ce qui est" ou enfin par "entité". Le mot français "entité" est lui-même dérivé du verbe "être" en latin et signifie "chose qui est, qui existe"

On pourrait s'étonner de cette étymologie et, cependant, quoi de plus logique? Car on ne pourrait même pas constater la différence entre soi et autrui, entre quelqu'un et quelqu'un d'autre, entre ego et alter ego, s'il n'y avait pas un "quelqu'un" constitué, quelqu'un qui existe comme "quelqu'un", comme "sujet", comme une "personne" ayant conscience de sa propre permanence, conscience du fait qu'elle est "une seule et même personne" à travers tous "les changements qui peuvent lui survenir" comme l'écrit Kant, dans l'Anthropologie d'un point de vue pragmatique. Sinon, qu'y aurait-il encore à comparer en vue d'observer les différences?
Aucune différence entre moi et moi, entre moi hier, moi aujourd'hui et moi demain, ne pourrait même être constatée s'il n'y avait d'un côté une permanence substantielle du moi mais aussi et surtout, formellement, un seul et même "Je", une seule et même conscience, comme il faut le présupposer dans l'une des Pensées de Pascal où l'auteur sépare la substance permanente et ses qualités périssables. 
Ainsi le 'Je' n'est pas le 'moi' puisque, quelles que soient les variations et transformations du moi, "le petit mot" 'Je' est, comme le montre Alain dans ses Eléments de philosophie, "invariable dans toutes mes pensées". [Rq : dans la grammaire et conjugaison latines, le pronom 'je' et 'moi' renvoient à des places et à des "cas" différents : le sujet pour 'je', l'objet pour 'me' ou 'moi']
Entre ces deux conditions (permanence substantielle / continuité de la présence à soi) la seconde n'est-elle pas prioritaire puisque c'est une mémoire, donc une conscience, qui place les choses et même les personnes dans leur stabilité, leur durée, leur "identité". La montagne ne se sait pas "la même" qu'hier et que demain : aujourd'hui elle ne peut ni promettre pour demain ni se souvenir d'hier.

L'étymologie du mot "identité" est importante dans la mesure où elle permet de comprendre que l'identité de chacun ne correspond pour commencer à aucun contenu objectif, aucun contenu substantiel (au sens où chacun pourrait être tenté de penser de soi-même qu'il est ceci ou cela, ayant telle personnalité, tel caractère, lui venant de son histoire, voire d'une détermination génétique). Au contraire, le premier élément qui fait l'identité de quelqu'un ou de quelque chose c'est le fait qu'une conscience veille sur sa durée, s'en souvienne et en témoigne. Ce qui est le propre de tous les sujets et, donc, ce qui est identique entre eux tous!

D'où les différents cas possibles : la durée d'un objet dont un sujet aura conscience, la présence d'un sujet à soi-même, l'identité d'un sujet qu'un autre sujet soutiendra dans sa permanence malgré la maladie, la disparition et même la mort (cf. Christian Bobin, Autoportrait au radiateur).

"Identité", quelle fragilité ! 
Car c'est un simple mot, un seul et même nom, qui permettra d' "appeler" cette permanence substantielle, de la "faire venir" et, mieux encore, de se rappeler à soi-même sa propre identité. Ainsi du prénom Danielle dans le film éponyme d'Anthony Cerniello (2013).