C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Exister, résister, persister, subsister, ...

   Le verbe latin stare (ou dans des formes dérivées : si-stere, stit-u-ere) se retrouve dans de nombreux mots, verbes ou substantifs, obtenus soit par composition avec un préfixe soit par simple dérivation.
Par simple dérivation (sans préfixe, sans altération du radical) : 
  • une station, un statut, une statue, la stature, une stase, une extase, l'Etat (status en latin),
  • stationnaire, statique, stable, une étable, établir, un étage,
  • ester ("ester en justice" : soutenir une action dans une cour de justice), "estar" (en espagnol)
Par composition (avec préfixe et transformation de "sta-" en "sist-" ou en "stit-") :
  • exister, insister, assister, persister, consister, désister, résister, subsister
  • restituer / constituer > constitution / destituer > destitution / instituer > instituteur > institution
   Liste des préfixes : ex (hors de), in (dedans), ad (vers), con (avec), re (redoublement), per (à travers), de (idée de privation), sub (dessous)
   Le sens du verbe latin stare a une grande portée dans la réflexion. En effet, ce verbe signifie non seulement le fait d'être (comme dans le verbe espagnol "estar") mais aussi l'effort pour être, la tension pour être ou faire être. Autrement dit, le mot se retrouve en français pour parler de tout "ce qui est" non pas naturellement mais du fait d'une volonté humaine, non pas "par nature", de façon aveugle, mais intentionnellement et en suivant un modèle issu de telle ou telle culture.
   Tous les mots évoquant le caractère "institutionnel" mettent en évidence le rôle joué par la culture humaine (Etat, ester, statut, institution, constitution, destitution, etc.).
   Tous les mots évoquant l'effort mettent en évidence le rôle joué par la volonté humaine : l'idée est de "tenir", "de se tenir droit", de s'élever. La pièce de Jean-Pierre Siméon (écrite en 1999), Stabat Mater Furiosa, illustre particulièrement cet aspect - comme, déjà, le poème religieux "Stabat Mater Dolorosa" : il faut "tenir à..." (une valeur, un idéal) pour "pouvoir tenir" (ne pas s'effondrer). Le poème religieux est un texte qui évoque la souffrance de Marie lors de la crucifixion de son fils Jésus. Le thème du Stabat Mater Dolorosa a été représenté par de nombreux peintres et mis en musique par plusieurs compositeurs, notamment par Vivaldi en 1712 et par Pergolèse en 1736. Ci-dessous la traduction du poème.

LatinFrançais

Stabat Mater dolorosa
Juxta crucem lacrimosa
dum pendebat Filius.
Cuius animam gementem,
contristatam et dolentem,
pertransivit gladius.
O quam tristis et afflicta
fuit illa benedicta
Mater Unigeniti.
Quæ mœrebat et dolebat,
Pia Mater cum videbat
Nati pœnas incliti.
Quis est homo qui non fleret,
Matrem Christi si videret
in tanto supplicio?
Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
dolentem cum Filio?
Pro peccatis suæ gentis
vidit Iesum in tormentis
et flagellis subditum.
Vidit suum dulcem natum
morientem desolatum,
dum emisit spiritum.
Eia Mater, fons amoris,
me sentire vim doloris
fac, ut tecum lugeam.
Fac ut ardeat cor meum
in amando Christum Deum,
ut sibi complaceam.
Sancta Mater, istud agas,
Crucifixi fige plagas
cordi meo valide.
Tui nati vulnerati,
tam dignati pro me pati,
pœnas mecum divide.
Fac me tecum pie flere,
Crucifixo condolere,
donec ego vixero.
Iuxta crucem tecum stare,
et me tibi sociare
in planctu desidero.
Virgo virginum præclara,
mihi iam non sis amara:
fac me tecum plangere.
Fac ut portem Christi mortem,
passionis fac consortem,
et plagas recolere.
Fac me plagis vulnerari,
fac me cruce inebriari,
et cruore Filii.
Flammis ne urar succensus
per te Virgo, sim defensus
in die judicii
Christe, cum sit hinc exire,
da per Matrem me venire
ad palmam victoriae.
Quando corpus morietur,
fac ut animæ donetur
Paradisi gloria.
Amen ! In sempiterna sæcula. Amen.
Debout, la Mère, pleine de douleur,
Se tenait en larmes, près de la croix ,
Tandis que son Fils subissait son calvaire.
Alors, son âme gémissante,
Toute triste et toute dolente,
Un glaive transperça.
Qu'elle était triste, anéantie,
La femme entre toutes bénie,
La Mère du Fils de Dieu !
Dans le chagrin qui la poignait,
Cette tendre Mère pleurait
Son Fils mourant sous ses yeux.
Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice ?
Qui pourrait dans l'indifférence
Contempler en cette souffrance
La Mère auprès de son Fils ?
Pour toutes les fautes humaines,
Elle vit Jésus dans la peine
Et sous les fouets meurtri.
Elle vit l'Enfant bien-aimé
Mourant seul, abandonné,
Et soudain rendre l'esprit.
Ô Mère, source de tendresse,
Fais-moi sentir grande tristesse
Pour que je pleure avec toi.
Fais que mon âme soit de feu
Dans l'amour du Seigneur mon Dieu :
Que je Lui plaise avec toi.
Mère sainte, daigne imprimer
Les plaies de Jésus crucifié
En mon cœur très fortement.
Pour moi, ton Fils voulut mourir,
Aussi donne-moi de souffrir
Une part de Ses tourments.
Donne-moi de pleurer en toute vérité,
Comme toi près du Crucifié,
Tant que je vivrai !
Je désire auprès de la croix
Me tenir, debout avec toi,
Dans ta plainte et ta souffrance.
Vierge des vierges, toute pure,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.
Du Christ fais-moi porter la mort,
Revivre le douloureux sort
Et les plaies, au fond de moi.
Fais que Ses propres plaies me blessent,
Que la croix me donne l'ivresse
Du Sang versé par ton Fils.
Je crains les flammes éternelles;
Ô Vierge, assure ma tutelle
À l'heure de la justice.
Ô Christ, à l'heure de partir,
Puisse ta Mère me conduire
À la palme des vainqueurs.
À l'heure où mon corps va mourir,
À mon âme, fais obtenir
La gloire du paradis.