C.-O. Verseau professeur agrégé de philosophie

Kant / Comment savoir que je suis libre?


«Supposez que quelqu’un prétende, à propos de son inclination à la luxure, qu’il lui est absolument impossible d’y résister quand l’objet aimé et l’occasion se présentent à lui : si, devant la maison où cette occasion lui est offerte, un gibet se trouvait dressé pour l’y pendre aussitôt qu’il aurait joui de son plaisir, ne maîtriserait-il pas alors son inclination ? On devinera immédiatement ce qu’il répondrait. Mais demandez-lui si, dans le cas où son prince prétendrait le forcer, sous la menace de la même peine de mort immédiate, à porter un faux témoignage contre un homme intègre qu’il voudrait supprimer sous de fallacieux prétextes, il tiendrait alors pour possible, quelque grand que puisse être son amour pour la vie, de le vaincre quand même. Il n’osera peut-être pas assurer qu’il le ferait ou non ; mais que cela lui soit possible, il lui faut le concéder sans hésitation. Il juge donc qu’il peut faire quelque chose parce qu’il a pleinement conscience qu’il le doit, et il reconnaît en lui la liberté qui sinon, sans la loi morale, lui serait restée inconnue. »
Kant, Critique de la raison pratique (1788)